Cette nuit, intenable insomnie,
La folie me guette,
Je suis ce que je fuis.


Tout le monde aime Cruz.

Ses professeurs, ses amis, leurs parents. Sa mère le chérit, le couvre d’étreintes délicates, l’enrobe d’affection, son père souligne son potentiel, prône sa fierté paternelle, couvert de regards lorsqu’il déambule dans un couloir, nombreuses sont les mains qui tapotent l’épaule pour le saluer, larges sont les sourires qui lui sont adressés. Au centre de toutes les conversations, il déferle chez les autres une hystérie collective, le besoin viscéral de s’arracher son attention, ne serait-ce que la brèche d’un contact visuel. Il est courtisé, tout le monde le désire, s’essaie à le charmer, tout le monde souhaite le posséder.

Tout le monde aime Cruz.

Ils aiment cet accent qui roule sur sa langue comme une chanson, ce regard profond qui ne dévie jamais, ce visage imperturbable qui paraît hors d’atteinte, les effluves musquées de son parfum, ils aiment se sentir petit à marcher à côté de lui, le sentiment ressenti quand il se convie à une conversation, celui qui accroit les sens quand il débarque à une soirée où personne ne l’attendait, cette sensation imparable d’avoir un peu d’importance à ses yeux, d’y croire dur comme fer, celle de savoir qu’il sait qu’on existe, parce qu’ici bas, qui ne rêverait pas d’exister pour lui ?

Tout le monde aime Cruz.

Sa force de caractère, son répondant et l’intellectuel dissimulé sous l’amas de muscles, mais plus encore, ils aiment son pouvoir. L’aura puissante, dominatrice, celle qui impose et oblige les étudiants à lui céder un passage dès lorsqu’il passe les portes quelque part. Ce même pouvoir qui rend son père ému aux larmes et sa mère exigeante à l’extrême. Celui qu’il a prit une vie à construire et que tous veulent s’arracher, celui qui force la sympathie et ne voit naître un sourire sur son visage uniquement lorsque l’issue est victorieuse. Ce pouvoir qui attire comme un aimant, aveugle quiconque le regarde et masque la cruelle vérité, celle dans laquelle, personne ne le connaît.

Tout le monde aime Cruz.

Ils aiment ce sourire en coin discret qui vogue parfois sur les lèvres, le mystère qui l’entoure, les iris profonds et secrets, mais ce qu’ils aiment plus encore, c’est la fortune de sa famille. Lui peut entrer partout, s’offrir le monde s’il le voulait et s’acheter ce qui pourtant, n’a pas de prix. C’est un bon parti, c’est aussi pour ça qu’on l’aime. Sportif, cultivé, abordable, ne sont que des bonus lorsqu’on est lui, qu’ils disent. Parce que ce qu’ils veulent plus que lui, c’est être vu à son bras et tant pis, tant pis si dans l’ombre, il n’est pas ce que tous voyaient en lui.

Tout le monde aime Cruz.

Tout le monde l’aime, mais l’aimeraient-ils toujours s’ils connaissaient la couleur charbonneuse du coeur qui bat, l’aimeraient-ils toujours lors des repas de famille silencieux, lorsqu’il disparaît à la première occasion venue sans dire où, pourquoi, l’aimeraient-il s’il essuyait des défaites, s’il cessait d’être courtisé, si le respect qu’il imposait s’essoufflait, l’aimeraient-ils encore pour de vrai ? et pour combien de temps ? parce que si ce fait est incertain, un autre lui, est indubitable ;

Tout le monde aime Cruz,
sauf Cruz.

Sur les murs de la maison, les portraits de famille s’accumulent comme les trophées des années auxquelles il aurait survécu. Sur les photos, le visage est figé, comme partout ailleurs, la neutralité difficile à fissurer. Cruz est un garçon heureux, dixit ses parents, fiers d’avoir éduqué un champion qui ne connaît jamais l’échec, un homme qui ne montre pas sa faiblesse, ne pleure pas, ne faillit en aucun cas. C’est un guerrier qui gronde à l’intérieur, qu’ils disent à qui veut bien l’entendre. C’est exactement comme ça qu’il doit être, pas autrement, c’est que l’enfant qu’il a été a toujours entendu.

Tout le monde aime Cruz,
sauf Cruz.

Peut-être n’est-il pas le seul. Tout le monde l’aime, mais ce qu’ils aiment davantage, c’est savoir qu’il ne les déteste pas. Parce qu’il fait peur, lorsque de sa hauteur intimidante, il amorce un pas menaçant, quand l’amertume gît dans son rictus et que le regard se voile, indéchiffrable. Non, personne ne se veut ennemi avec lui. C’est aussi pourquoi personne n’approche plus Alba. Jolie brune à l’accent prononcé, couple jusqu’alors mythique, un roi se montre toujours au bras d’une reine. Si elle était le cœur alors il était le pique. Nulle ne connaît les raisons de leur rupture, les ragots naviguent d’une oreille à une autre, sans vraiment connaître le vrai fond du problème. Tout ce que tout le monde sait c’est qu’il n’est pas permis de posséder ce que lui a un jour détenu.


Je subis cette cacophonie
Qui me scie la tête,
Assommante harmonie,
Elle me dit, tu paieras tes délits,
Quoi qu'il advienne.

L'ennemi tapi dans mon esprit,
Fête mes défaites,
Sans répit, me défie,
Je renie la fatale hérésie
Qui ronge mon être,
Je veux renaître.

Pleurent les violons de ma vie,
La violence de mes envies,
Siphonnée symphonie,
Déconcertant concerto
Je joue sans toucher le beau,
Mon talent sonne faux.

FAITS ; Cruz est toujours en études, à la Fac de Los Angeles, en quête d’un doctorat en sciences de l'information et de la communication ➤ En dépit de son emploi du temps chargé, il fait partie de l’équipe de football américain de l’université, ce qui fait la fierté de son père ➤ Il n’est pas un grand fêtard, cependant, s’il est attendu à une soirée, il fera toujours son apparition, fidèle à la réputation qu’on lui a imposée au fil des années ➤ Les rumeurs disent qu’il a un faible pour les filles toute petite, toujours bien apprêtée et propres sur elles, d’autres disent qu’il est sûrement gay et que c’est la seule explication pour avoir laissé filer une fille comme Alba ➤ Cruz est très impliqué dans la communauté universitaire, il aide à organiser les bals et autres événements, qu’ils soient sportifs ou non, par ailleurs, sa famille est une source financière précieuse pour l’établissement qui accepte évidemment toujours leurs généreuses donnations ➤ Il vit notamment toujours avec ses parents, il lui serait difficile d’expliquer pourquoi, mais lorsqu’on le lui demande, il répond toujours qu’ils possèdent un manoir assez grand pour trois et qu’il serait idiot de ne pas en profiter.