FAMILLE ET ENFANCE — Né à Séoul, fruit de la capitale, il voit le jour une belle nuit d’été, tandis que les astres sont alignés. Fils de Darling Sim, prestigieuse juge en délinquance juvénile, il se voit nommé Gioia, définition même de joie, puisque c’est tout ce qu’il représente pour elle, un immense sentiment de joie. Darling vit seule avec son enfant, son mari décédé alors qu’il servait son pays, elle donne alors à son enfant de l’amour pour deux parents, elle entretient avec lui une relation complicité que nulle ne pourrait comprendre.

Au travail, elle est une toute autre femme. Redoutable, Darling est crainte comme la peste, surnommée “juge max”, elle n’a aucune pitié, aucune compassion pour les enfants qui passent devant elle à la cour et donne toujours la peine maximale, d’où naît le surnom. Toutefois, une loi indique qu’un mineur ne peut écoper d’une peine de prison et ce, même s’il s’agit d’un homicide.

Ses collègues, dont elle est par ailleurs la supérieure, ne l’aime pas, comme la plupart des gens qui ont un jour croisé son chemin. Femme de pouvoir, froide, visage figé, toujours neutre, jamais un sourire, les cheveux toujours bien tirés et les ongles parfaitement vernis, sa seule faiblesse, son fils, qu’elle chérie et qu’elle adore, lui seul susceptible de lui soutirer un rire.

Son enfance est remplie d’amour, d’affection, de balade et de moments privilégiés. Chaque nuit il se glisse dans le lit de sa maman, il n’y a rien qu’il n’aime plus que de se réveiller dans ses bras, couvert de bisous et de câlins. Bien qu’embêté à l’école par certains, dont les grands-frères et grandes sœurs ont été envoyés en détention juvénile par sa mère, Gioia a tout de même beaucoup d’amis. Contraire de sa génitrice, lui porte bien son nom, véritable soleil qui ne cesse jamais de sourire, il adore s’amuser et faire rire autrui, depuis son plus jeune âge.

Sa bienveillance, sa bonne humeur et son sens de la loyauté déteignent sur son frère. Naissance programmée, prévue et acceptée par Gioia. Darling rêvait d’avoir un deuxième enfant, d’offrir à son fils un frère, une sœur avec lequel il puisse jouer, qu’il pourrait protéger comme il le réclamait tant. C’est ce qui arriva. Darling fit une insémination et tombe enceinte, donnant naissance à un second petit garçon, du nom de Jihu. Petit garçon qui fut dès lors sa naissance, un véritable cadeau pour son grand-frère qui n’attendait que ça.

ADOLESCENCE — L’entrée au collège, une grande étape qu’il est heureux d’atteindre. L’enfant qu’il était est devenu un adolescent, cependant toujours souriant, blagueur et toujours prêt à défendre ses camarades les plus vulnérables. Loin d’être un ado à problème, Gioia à la main sur le cœur, d’une gentillesse à toute épreuve, si on lui cause du tort, il tendra toujours l’autre joue, le pardon sans doute trop facile.

L’adolescence, l’âge des premières fois, des découvertes, de l’insouciance. À 12 ans, il se fait un nouveau meilleur ami. Jogi. Jogi est un garçon comme lui, extraverti, inclusif, et souriant. L’entente se noue immédiatement après son arrivée en cours d’année, très vite amis, ils tissent des liens très étroits et une complicité fusionnelle. “Ne dis rien à ta mère, je voudrais pas qu’elle nous empêche de nous voir,” qu’il répétait sans arrêt, pour cause, il était une mauvaise influence.

D’abord il lui apprenait à fumer, puis à sécher, à mentir, à tricher. Sa mère soulignait des changements, mais rien d’alarmant, selon elle, juste des attraits communs à l’adolescence. Jogi et Gioia deviennent inséparables, assez pour qu’il s’éloigne de ses amis. Ensemble, ils draguent des filles, Jogi lui apprend à séduire, mais dans sa tentative, c’est Gioia qui est séduit.

Jusqu’alors convaincu de n’aimer que les filles, il découvre qu’il est attiré par Jogi, les autres garçons ne l’intéressent pas, ils n’attirent pas même son regard. Finalement, un premier baiser lors de son treizième anniversaire et d’autres, les jours d’après et les mois qui suivent, là encore. Gioia ne pouvait être plus heureux et son sourire irradiait comme jamais jusqu’alors.

Plus les mois défilaient, plus ils filaient le parfait amour et Gioia lui, contrairement à Jogi, n’avait pas peur de s’afficher, mais il respectait entièrement sa décision. Les choses se sont envenimées lorsqu’une fille de l’école commence à le draguer ouvertement. À la fin des cours, une dispute éclate, Gioia est secoué par ses poignes brutales sur ses bras, cependant Jogi s’excuse et supplie pour son pardon, justifie son acte par sa jalousie maladive tiraillé par ses sentiments et pour la première fois, il lui dit, “je t’aime.”

14 ans, c’est tout ce qu’il a quand sa vie bascule. Jogi décide d’emmener Gioia au marché de noël, une balade en amoureux, qu’il songeait. Or, lui arrive avec son petit frère, de six ans à ce moment-là. Jogi se plaint, une fois, deux fois puis toute la soirée, lui qui rêvait d’enfin se retrouver seul avec lui. Alors, lorsque Jihu est dans un manège, surveillé par son grand frère qui s’amuse à lui faire des grimaces, Jogi, lui prend la main et tente une première approche. “Allez viens, juste cinq minutes, on sera revenu avant qu’il descende, s’te plaît, j’ai trop envie, pas toi ?” non, pas lui. Lui voulait regarder son petit frère s’émerveiller, l’entendre rire, le voir sourire et réclamer des bonbons.

Gioia refuse, pour la énième fois. Finalement, Jogi sourit. Jihu descend enfin de son manège et Jogi décide de leur faire une surprise, ce qui rend Gioia impatient et particulièrement heureux. Ravi de constater qu’il compte, pour de vrai. Il ne dit rien et se contente de les emmener sur le toit de son immeuble, là où la vue est incroyable. Gioia se souvient encore de la brise fraîche sur son visage.

Mais ce dont il se souvient surtout, ce sont les mains sur ses épaules, le souffle chaud sur son cou et les mots qui fendirent l’air. “On va baiser ici et maintenant,” évidemment, Gioia rit aux éclats, persuadé qu’il plaisante, toutefois il n’en était rien. “Ça fait un an que tu m’fais attendre, maintenant c’est l’heure, j’vais te baiser comme tu l’mérites,” le ton de sa voix est différent et il comprend alors rapidement que Jogi ne rigole pas. Il proteste, signale la présence de son frère, lui dit de ne pas se montrer si grossier devant ce dernier, ce qui ne plaît visiblement pas à son petit ami.

Jogi change de visage, le sourire sournois, le regard fou. Il sort un couteau de l’arrière de son pantalon, l’extirpe de son étui et le brandit brusquement. Jihu prend peur, s’accroche aux jambes de son grand frère, cependant, Jogi ne le laisse pas faire. Il le saisit violemment par les cheveux et le jette au sol. Irrémédiablement, le petit garçon se met à pleurer, ce qui fait rire aux éclats l’assaillant.

Gioia essaie d’approcher son petit frère mais il est, lui aussi, férocement projeté au sol. Jogi en profite pour s’asseoir sur lui, les choses s’enchaînent, Jihu veut aider son aîné alors il tire sur le bras du bourreau, les joues rougies par les larmes. Jogi le repousse et l’enfant tombe et se blesse. Gioia tente, essaie vivement de se défendre, en vain. Les insultes à son encontre fusent, les sanglots du cadet couvrent tout le reste et d’un seul coup, comme ça, Jogi décide de lui asséner l’ultime trahison.

Un coup de poignard, deux, trois, dix… dix-sept. Inconscient, perdu dans l’ailleurs, dans un univers en constante gravitation, un univers intrépide qui ne cesse de tourner. Lorsqu’il reprit connaissance, il vit Jogi, affalé sur le corps inerte de son petit frère, en plein viol.

Gioia hurle, du peu de force qu’il lui reste. Il le supplie d’arrêter, s’égosille à dire que ce n’était qu’un bébé, il l’implore d’échanger sa place, il l’implore oui, encore et encore, de seulement arrêter. Or, il n’en fit rien. Lorsqu’il eut terminé, Jogi retourne le corps inconscient de l’enfant d’un violent coup de pied et le poignarde à plusieurs reprises, sous les cris virulents de l’aîné qui s’en brisa littéralement les cordes vocales, avant que son cœur ne s’arrête à son tour.

Jogi se rend à la police, parce qu’il le sait, dans ce pays, on ne va pas en prison au-dessous de quatorze ans, même après un tel crime. Après cette tragédie, Gioia a dû subir de nombreuses opérations, dont une greffe de cordes vocales. Dévastée, sa mère ne semble pas parvenir à se relever. Immédiatement, la culpabilité s’installe, il se dit que tout est sa faute, qu’il a fait entrer le mal dans leur famille et que rien de tout ça ne serait arrivé s’il n’avait pas été là.

Gioia prend sur lui, il redevient ce garçon joyeux, attentionné, toujours le mot pour rire, uniquement d’apparence, pour voir sourire sa mère à nouveau et c’est ce qui se passe. Il l’aide à se relever et elle l’aide à réaliser ce qui, désormais, devient son plus grand rêve — rétablir la justice.

ACTUELLEMENT — Gioia a déménagé avec sa mère. Ils avaient tous les deux besoin de nouveaux défis, de renouveau, de soleil et d’aventures. Los Angeles, destination qui leur a plut immédiatement. Décision commune, ils s’envolent pour les États Unis.

Sa mère est toujours une juge impitoyable, plus que jamais désormais, d’autant que la justice n’est pas la même en Amérique. Elle se fait rapidement une réputation, femme cruelle, sans cœur, au visage figé et à l’émotion de pierre. Les avocats tremblent devant elle et Darling le sait, elle règne sur la justice et applique la loi avec vigueur et droiture.

Quant à Gioia, il a réussi ses examens. Il a 20 ans lorsqu’il commence enfin son boulot, qu’il adore par ailleurs. Très vite jugé par ses collègues qui le trouve trop bourrue, trop maladroit ou encore trop puéril, agacé de le voir dormir sur sa chaise entre deux interrogatoires, personne ne sait que ce sont les seuls moments où il se sent suffisamment en sécurité pour dormir, loin de son lit qui lui livre de bien sombres cauchemars.

À 24 ans, il est muté dans un autre service à un poste au-dessus de celui qu’il occupait avant. Parce qu'au delà de sa réputation de dormeur de bureau, de flemmard en puissance, une fois sur le terrain, Gioia est une vraie pile électrique, une brute hyperactive qui course les délinquants jusqu’à ce qu’ils se rendent tant ils sont fatigués. Sur le terrain, il est quelqu’un d’autre, du genre à arrêter un criminel en riant aux éclats parce qu’il rit à la propre blague qu’il vient de faire.

Toutefois, Gioia reste un mystère pour ceux qui l’entourent. Ce garçon accro au terrain, refuse toujours d’aller boire un verre avec eux après le service, de partager des informations personnelles, il fuit toujours les sujets d’une pirouette technique qui chasse leur curiosité.

Une fois chez lui, Gioia n’est plus le même. Il abandonne son sourire sur le palier, sa joie de vivre et ses blagues enfantines. L’ombre de lui-même, c’est tout ce qu’il est désormais, incapable de faire confiance à qui que ce soit, de prendre soin de lui ou soin d’autrui, sauf de sa mère. Par ailleurs, son appartement ressemble à un bunker, vide et terne. Quelques matériaux au milieu du salon pour faire du sport, un matelas qui jonche le sol et un ordinateur pour noyer ses pensées dans les jeux vidéos. Rien d’autre, rien de plus que le stricte minimum. Voilà qui il est à présent, un fantôme, un mensonge, que personne ne connaît vraiment.